Chaque année au mois d’avril, le Club Shôjo organise la Semaine du shôjo qui met en avant les mangas publiés dans des revues shôjos, joseis, BL/Yaoi etc et organise un événement interblog autour d’un thème précis.
Comme chaque année, je trouve le thème très intéressant à aborder. Le voici : « Le shôjo abordant la condition féminine que vous préférez ».
Je tiens tout d’abord à remercier les membres du Club Shôjo pour l’organisation de cette semaine et je vous invite à aller jeter un œil sur leur site, on y trouve une foultitude d’articles intéressants écrits par des personnes passionnées.
Lorsque j’ai appris quelle allait être la thématique de cette année, j’ai décidé d’aller à fond dans le ressenti. En effet même si j’aime les œuvres ouvertement engagées, je préfère encore plus celles qui le sont sans le montrer au premier abord, un engagement naturel et spontané en somme. J’ai essayé de me rappeler quelles œuvres pourraient correspondre à ce ressenti. Des titres comme Autour d’elles, Kamakura Diary ou même Kimi Wa Pet me sont venues à l’esprit mais je me suis laissé guider par mes envies et j’ai choisi de relire & de Mari Okazaki et Mlle Ôishi de Q-ta Minami.
Je me suis rendu compte que ce sont deux œuvres qui ont été pré-publiées au Japon dans le magazine Feel Young, un magazine Josei qui nous a apporté de nombreux excellents mangas.

Déjà, c’était très agréable de relire 2 mangas que j’aime beaucoup en parallèle comme ça, d’y déceler des ressemblances mais aussi de nombreuses différences.
Je vais vous présenter rapidement ces 2 œuvres.
Mlle Ôishi est un manga en 4 tomes, sorti en France dans la collection Sakka des éditions Casterman. Le titre n’est malheureusement plus disponible tout comme Jeux d’enfants et Adieu Midori parus dans la même collection dans les années 2005/2006. L’autrice, Q-ta Minami a connu un grand passage à vide dans le paysage français car c’est seulement en ce début d’année 2023 que l’on a eu droit à la traduction d’une autre œuvre de cette grande autrice, Elle dans la collection Pika Graphic. J’aimerais tant voir d’autres œuvres de cette autrice arriver en français et pourquoi pas des rééditions de ses titres indisponibles depuis longtemps..
Mlle Ôishi met en scène Kon Ôishi, une jeune femme de 28 ans, indépendante et célibataire au moment où débute le récit. Les 4 tomes qui composent ce récit vont mettre en scène une Kon qui grandit, doute, se trompe, souffre, se bat et s’épanouit de ses 28 ans à ses 32 ans.
Kon se met en couple au début de l’histoire avec Henmi, un collègue déjà père de famille mais qui divorce de son ex-femme. Kon et Henmi deviennent fiancés, Kon quitte son travail sous l’impulsion de Henmi sauf qu’Henmi va rapidement perdre son travail et s’endetter. Il s’ensuit tout un processus d’oppression et de manipulation dans lequel Henmi, endetté jusqu’au cou, va beaucoup s’appuyer sur Kon tout en essayant de la manipuler le plus possible pour garder un semblant de contrôle.
C’est classique mais extrêmement bien raconté car on voit une Kon qui n’est pas dupe et pas forcément d’accord mais qui subit le chantage et la manipulation de son fiancé.
On va rencontrer en parallèle le petit frère de l’héroine, Yukari, un jeune homme élégant qui cache aux autres son homosexualité même lorsque sa sœur essaye de l’aider.
Kon va également faire la rencontre de Tetsu, un coiffeur de 25 ans, un peu coureur de jupon, un peu forceur mais qui à force de se faire recadrer par Kon va devenir un précieux ami de cette dernière, une épaule bienveillante malgré son côté dragueur.
Je ne vais pas trop en révéler sur la suite du récit mais Kon va, à force de s’affirmer, de se relever et de lutter, trouver sa voie. Ce manga aborde de multiples thématiques, la relation toxique, une relation frère/soeur complexe, une relation libre fleurtant avec l’amitié dans laquelle nait un grand amour, le deuil, la trahison, la difficulté à vivre son homosexualité, l’amitié, la recontre amoureuse parfois complexe, l’arrivée des enfants, parfois non désirés en premier lieu… Mais je retiens aussi la naissance d’une passion qui va aider Kon à s’émanciper, à s’affirmer et se révéler.
En effet, elle va peu à peu se révéler via la couture. De petit boulot, cette passion va en faire une créatrice et une artiste qui va s’habiller avec ses propres vêtements. Cet aspect de l’œuvre est en toile de fond par rapport à la vie privée de Kon mais son impact va être visible via sa vie professionnelle, son assurance mais aussi son apparence qui va évoluer au fil des tomes.

Ce que j’aime dans ce manga, c’est sa richesse thématique en premier lieu mais aussi émotionnelle. Je trouve cette œuvre très forte dans sa manière de nous mettre au niveau du regard et des pensées de Kon. On vit les choses à travers elle et l’on ressent son désarroi face à un homme qui la manipule, son désir pour quelqu’un, ses envies, ses peurs, sa colère, sa tristesse, ses doutes.. J’aime particulièrement la manière dont Q-ta Minami met en scène son héroïne. Je pense que c’est en cela que j’ai rapidement pensé à cette œuvre par rapport au thème de la condition féminine. On suit la vie d’une jeune femme indépendante qui a son caractère, ses goûts, envies mais qui vit un parcours qui peut parler à beaucoup de personnes y compris des personnes qui n’ont pas vécu les mêmes évènements.
Ce manga permet de montrer combien la « condition féminine » dépend des autres, des rencontres, de la manière dont une personne est soutenue par ses parents ou ses proches. Nous sommes des êtres sociaux, la condition d’une personne ne dépend pas que d’elle et cela se ressent bien dans ce manga. On a beau vouloir être libre, indépendant et vivre de sa passion, cela dépend aussi de ce que l’on ressent. Kon tombe amoureuse d’un manipulateur toxique, se lie d’amitié avec une personne faisant des choix parfois discutables, est soutenue par ses parents même s’il sont peu présents, a l’opportunité de s’épanouir dans son travail grâce à une cheffe qui lui donne sa chance, se sent parfois seule quand elle est abandonnée par un amoureux peu présent.. lorsqu’elle est trahie alors qu’elle essaye de se reconstruire.. Tous les évènements de ce manga montrent combien Kon a beau lutter et être une femme forte, sa condition dépend des rencontres, des sentiments et des évènements de la vie (mort, grossesse, opportunité, amitié etc..).
J’aime la complexité de ce manga parfois difficile et cruel mais qui montre combien la vie l’est parfois et combien la condition féminine dépend aussi malheureusement des hommes. Et ce manga montre combien les hommes n’aident pas les femmes ou rarement, même quand ils sont un frère, un ami, un amoureux.. et que Kon doit faire avec cela..

Malheureusement Mlle Ôishi est actuellement indisponible en librairie, je ne peux que vous conseiller de vous le faire prêter par un(e) ami(e) ou de l’emprunter en médiathèque si vous en avez l’occasion.
Je me suis rendu compte en relisant & que j’avais choisi 2 mangas ayant quelques points communs à mettre en avant comme le fait de montrer une jeune femme ayant déjà un travail, commençant une relation amoureuse longue et qui va tacher de se trouver une voie dans une activité artisanale/artistique salariée. Bien sûr les 2 œuvres sont totalement différentes sur bien des points mais nous allons pouvoir observer que dans &, l’héroïne est également malmenée par ses proches.
& est un manga de Mari Okazaki publié en France dans la collection Life des éditions Kana. Le titre dure 8 tomes et malheureusement, c’est actuellement le seul manga de l’autrice à être encore disponible en français. Les éditions Delcourt époque Akata ont édité de nombreux mangas de cette autrice il y a plusieurs années et aucun n’est actuellement disponible.
& nous fait suivre Kaoru Aoki, une jeune femme secrétaire médicale en hôpital qui ne supporte pas le contact physique avec autrui. Elle cherche à ouvrir un salon de manucure non pas pour arrêter son travail à l’hôpital mais pour avoir une activité à elle le soir. Kaoru cherche à devenir indépendante en faisant quelque chose qui lui tient à cœur. Alors que personne ne daigne lui louer un local pour se lancer dans cette activité, Kaoru croise un ami de fac (Shiro) qu’elle n’avait pas vu depuis les études. Ce dernier a son entreprise de programmateur mais n’utilise que l’étage du bâtiment qu’il occupe. Shiro accepte de louer le rez-de-chaussée du bâtiment à Kaoru qui peut enfin se lancer ! Dans le même temps, Kaoru se rapproche du docteur Yagai, un médecin de 45 ans assez brutal et peu sympathique. Une étrange relation naît entre eux, teintée d’amour.
Derrière ce résumé maladroit se cache toute la complexité de ce manga, du moins à mon sens. & raconte l’épanouissement semé d’embûches de Kaoru, que ce soit dans le monde professionnel ou dans la vie amoureuse. Alors que Kaoru est une femme forte, impressionnante et possédant une énergie peu commune. Les deux hommes qui l’entourent, Shiro et Yagai, vont très souvent lui mettre des bâtons dans les roues au lieu de l’aider. Cela amène à des scènes où ils ont des mots durs et souvent gratuits envers Kaoru. Cette violence des hommes envers la jeune femme est importante dans le développement de ce manga.

Si la posture des 2 hommes et de certains personnages secondaires agace, je trouve leur caractère intéressant car exemple d’une certaine vérité de notre monde. Des personnes sont submergées par leurs émotions, leur orgueil ou leur vision de ce que doit être une femme et l’imposent aux autres. Kaoru est un personnage qui écoute, doute mais se bat. C’est ce combat pacifique que je trouve fort tant il témoigne de la difficulté d’être une femme libre de ses choix, de ses actions et de ses émotions.
Dans ce manga, Mari Okazaki dresse un portrait terrible du monde médical japonais et met en avant le travail des secrétaires médicales, ouvrières de l’ombre aux ordres de médecins épuisés mais parfois tout puissants. Kaoru va également tracer sa voie dans cet univers violent et révéler ses compétences, non sans souffrances et doutes.
L’aspect romantique du manga est également important dans ce qu’il révèle de la condition féminine. Kaoru est constamment chahutée par un docteur Yagai au passé lourd certes mais qui ne prend pas en compte le passé de Kaoru. Je trouve leur relation particulièrement déséquilibrée. Déjà, ils travaillent au même endroit mais un médecin a un statut plus élevé qu’une secrétaire à l’hôpital. Ils ont 19 ans d’écart et Kaoru vouvoie Yagai quand il la tutoie et la traite souvent comme une enfant. Malgré tout, Kaoru résiste et ne lâche rien et une forme d’équilibre se forme peu à peu entre eux deux. Leur relation témoigne de certains rapports femme/homme tout en proposant une histoire d’amour que j’ai trouvée belle sur certains points, réaliste et parfois tristement dure. Cette histoire prend de la place dans le récit mais se montre capitale dans la vie de son personnage principal.

Mlle Ôishi et & possèdent toutes deux une puissance graphique peu commune. L’élégance du trait et l’inventivité narrative de Mari Okazaki dans & sont impressionnantes. L’autrice joue avec les cadres, les personnages et le mouvement pour insuffler de l’énergie à son récit. Dans Mlle Ôishi, le trait de Q-ta Minami est tout autre avec une ligne plus claire et une élégance très différente. Je trouve la narration bluffante de maîtrise, le récit a une belle densité par rapport au nombre de pages et le rythme du récit joue avec cette intensité pour proposer de nombreuses scènes marquantes alliées à des dialogues percutants. On y ressent toute l’influence d’une autrice comme Kyoko Okazaki.
À mes yeux, & comme Mlle Ôishi sont avant tout 2 formidables portraits de jeunes femmes qui doivent lutter pour se faire une place dans ce monde. Elles se trompent, doutent et baissent parfois les bras mais y arrivent en possédant une force et un courage mis en scène avec nuance et sororité par les 2 mangakas. C’est en cela que je trouve ces 2 mangas forts, dans leur manière de mettre en scène des femmes qui luttent à leur manière dans un monde qui leur est souvent hostile. (Bien sûr, cette hostilité est la plupart du temps due à des hommes).
Je ne peux donc que vous recommander la lecture de ces 2 belles œuvres et espérer voir arriver en France d’autres œuvres de Q-ta Minami et Mari Okazaki.
Pour en revenir au thème de cette année. Je trouve qu’il est difficile de parler avec justesse de la condition féminine quand on est un homme et que l’on n’a jamais vécu de manière directe ce que ça fait d’être et de grandir en tant que femme. J’ai trouvé cependant l’exercice très intéressant dans ce qu’il amène comme réflexion. Je propose cependant aux lectrices de ce texte de ne pas hésiter à me faire des retours, c’est toujours intéressant de savoir si on écrit des choses qui parlent au personnes ou bien pas du tout.
Je vous invite à jeter un œil sur les articles écrits par les autres membres participants à l’événement. Il est intéressant de voir comment un sujet peut être traité de bien des manières en fonction du vécu et des lectures des personnes. Les angles d’approche et les styles d’écriture sont multiples et tous intéressants et c’est tout l’intérêt de ce genre d’événement communautaire.
Un beau ressenti que tu as bien fait de suivre.
Je préfère Compléments affectifs de Mari Okazaki car je trouve les relations un peu plus problématiques dans And.
En revanche, je relierai bien Mlle Oshi.
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Merci! J’aimerai beaucoup lire Compléments affectifs malheureusement je suis passé à plusieurs reprises à côté d’occasions.
Oui dans And les relations sont pas mal problématiques.
Je trouve que Mlle Oshi se relis très très bien!
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Rah ces classiques plus disponibles. Quel dommage ! Je te souhaite de le trouver un jour 🤞
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Oui c’est toujours dommage! Merci je croise les doigts!
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