Payer la terre, Un reportage édifiant qui donne la parole aux peuples du territoire du Nord-ouest du Canada.

Joe Sacco est un auteur de bande dessinée et journaliste considéré comme un des fondateurs et plus important contributeur de la bande dessinée documentaire (nommée aussi bande dessinée reportage).
Il se rends en 2015 à 2 reprises dans les territoires du nord-ouest canadien en compagnie de Shauna Morgan.
Joe Sacco part à la rencontre des Denes, une ethnie faisant partie des Premières Nations qui habitent des régions arctiques du Canada. Les Premières Nations sont des peuples autochtones canadiens. (Les Métis et les Inuits sont d’autres peuples autochtones).

Afin de rendre compte de la situation et de l’histoire des peuples vivants sur cet immense territoire, l’auteur a mené une investigation basé sur la parole et le point de vue de Denes.
L’ensemble est retranscrit avec une grande précision dans le dessin (très documenté) et dans une logique narrative qui permet de comprendre de manière logique et réfléchie : le passé, le patrimoine, l’histoire de la colonisation, le génocide culturel et ses conséquences mais aussi les perspectives d’avenir et la complexité de ce qui reste de la culture Dene.

La parole des Denes n’est pas le seul prisme de lecture. L’auteur axe aussi le reportage sur la notion de terre pour les peuples autochtones, notion écrasée par le capitalisme marchant amené par la colonisation. La situation s’est encore compliquée aujourd’hui avec l’exploitation des terres pour le gaz, le pétrole, l’or.. ce qui amène du travail tout en détruisant la terre.. terre (et biomes) qui est de toute manière bouleversée par le dérèglement climatique.

Il est passionnant d’avoir la possibilité de lire la parole de personnes qui ne sont jamais écoutés dans les médias occidentaux. Jo Sacco a suivis, interrogé, dialogué avec un nombre impressionnant de personnes : des anciens, des chefs, des protecteurs de l’environnement, des chefs d’entreprises, des jeunes, moins jeunes, femmes, hommes.. On sens qu’il a fait attention à ouvrir le plus largement possible son regard et son écoute pour donner la parole à une grande diversité de personnes et de vécus.
Le gros point fort de cette bande dessinée est de retranscrire avec logique, équité et intelligence toute cette parole. Malgré l’énorme quantités d’informations que comporte chaque chapitre, on comprends de manière approfondie la situation extrêmement complexe vécue actuellement dans ces territoires du nord.

Il est terrifiant d’observer le déroulement d’une colonisation basée sur un génocide culturel. Les Denes sont des peuples qui vivaient par et pour la terre. Leur vie était rythmée et construite autour de la manière dont ils pouvaient se nourrir de la terre tout en la respectant et l’aimant. Lorsque les colonisateurs sont arrivés, ils ont acheté la terre sans que les Denes n’en comprennent les conséquences vu que pour eux, la terre ne s’achète pas. Ce fut le premier choc culturel et le départ d’un lent et cruel démantèlement d’une culture (on peut retrouver ce terrible processus partout sur Terre..)
On s’est ensuite attaché à disloquer la manière de penser et de vivre des Denes en envoyant leurs enfants dans des pensionnats. Ces pensionnats visaient à donner une éducation occidentale et chrétienne mais ils ont surtout brisé toute une génération. Ils ont brisés les liens qui unissaient les parents aux enfants tout en traumatisant à vie une génération abusé physiquement et intellectuellement.

Toute cette mise en contexte de l’histoire de la colonisation permet de mieux comprendre la situation actuelle où les peuples autochtones sont ballottés entre une course à l’exploitation des ressources par de grandes entreprises et plusieurs générations perdues dans la drogue, l’alcool et la violence envers les siens et soi même.

Cette bande dessinée se referme sur un chapitre parlant des possibilités d’avenir des Denes. Le dialogue entre les générations, la confiance en les capacités des Denes (confiance brisé par la colonisation) et la réappropriation de leur propre culture et de leur terre sont les pistes des générations actuelles pour redevenir un peuple qui vie, libre et possède un avenir.

La manière dont les occidentaux ont écrasés les peuples du nord-ouest pour mieux les asservir et exploiter les ressources de leurs terres et la réalité actuelle qui montre que le Canada continue dans ce sens amène à réfléchir sur notre manière de voir le monde et de vivre avec et dans notre planète. On consomme la terre en l’exploitant et en l’achetant au lieu de vivre sur/par et avec la (T)terre.

Il est toujours facile de se dire qu’on comprends la colonisation et ses conséquences.. mais non il semble qu’on ne peut pas comprendre sa réalité et ses conséquences. Ici, on a enfin la possibilité de voir l’envers du décor. Le génocide culturel/ethnique est actuel et n’est pas propre aux territoires du nord-ouest. On peux observer des situations semblables encore aujourd’hui aux 4 coins du monde. En cela, je trouve le travail de Joe Sacco essentiel de par son approche, sa qualité mais aussi de par son importance.
Payer la terre est une bande dessinée d’une grande importance, à la fois passionnante et terriblement éprouvante à lire. On en ressort triste, troublé, amère mais assurément grandit.

Payer la terre est disponible en 1 volume aux éditions Futuropolis.

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